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Le crétin des collines

dimanche 23 février 2014

Que soient ici consignés, dans l’airain des internetz mondiaux, les faits dramatiques qui se sont déroulés ce samedi 14 décembre 2013 et qui ont vu votre serviteur apercevoir le blanc des yeux de la Grande Faucheuse, ou tout au moins survivre à une congélation des membres qui a failli conduire à de multiples amputations, ou en tout cas attraper un gros rhume.

J’étais parti de bon matin avec un nouveau partenaire pour faire de l’escalade aux Roaches, de grosses falaises de grès dans le sud-ouest du Peak District. L’endroit est réputé dans le Peak pour ses routes en multi-pitch, assez rares dans le coin. Des routes d’une trentaine de mètres, dans un bel environnement qui surplombe les collines voisines.

Petite parenthèse sur l’escalade en Angleterre et au Pays de Galles. Ici la discipline reine est le « trad » qui se traduit en France par « terrain d’aventures » si je ne m’abuse. Les routes ne sont pas jalonnées de spits ou de pitons grâce auxquels le grimpeur protège sa chute. Au lieu de cela, le premier de cordée place au fur et à mesure de sa progression ses propres protections que le second retire lors de son passage. Les protections consistent principalement en « nuts« , sortes de coins métalliques à placer dans des failles, de « hex« , autres pièces métalliques plus grosses pour les failles plus larges, et de « cams » qui sont des genres de bidules diaboliques assez difficiles à décrire – disons qu’il s’agit de machins avec des lobes et des ressorts insérés dans des fissures et qui sont magiques. Le premier de cordée commence donc à grimper en se trimballant plusieurs kilos de quicaillerie qui sonnent comme un troupeau de vaches et cherche périodiquement à installer une pièce de protection dans une fissure, auquel il ajoute une dégaine dans laquelle il passe sa corde. S’il a bien fait son travail, il est (et son second après lui), bien protégé d’une chute, ces pièces de protection pouvant résister à des forces assez herculéennes. Le second a le rôle ingrat de devoir faire sortir ces pièces hors des fissures dans lesquelles elles sont profondément enfoncées, ce qui se révèle parfois compliqué. Si tout va bien, la cordée escalade une route en ne laissant aucune pièce, ce qui est une belle marque d’éthique. La grande majorité des routes (notamment au célébrissime Stanage Edge) nécessite une seule longueur de corde : on part du ba

s de la falaise, on escalade, on sort au sommet et on redescend à pied sur le coté de la falaise –  mais aux Roaches il s’agit de multi-pitch, et les routes demandent quelques compétences supplémentaires par rapport à d’habitude : il faut grimper le premier pitch, construire un relais et grimper le second – rien de bien compliqué.

Nous étions donc partis nous frotter au fameux grès du Peak (« God’s own rock » comme l’appellent les Anglais) par un froid assez perçant, et à une date proche du solstice d’hiver, dans une région assez septentrionale (ça aura son importance). L’humidité de la roche et le vent glacial n’aidant pas, nous bataillons longuement pour grimper des routes qui ne devraient normalement pas nous poser de problèmes. Malgré tout nous décidons de nous lancer à l’assaut de Valkyrie, une des routes les plus célèbres du Peak. Encore une fois, une route que normalement nous ne devrions pas avoir de mal à grimper, mais ce n’est visiblement pas notre jour. Le premier pitch est monté assez laborieusement mais sans problème particulier.

Après cette première partie, il ya une petite plateforme de deux mètres carrés, bien protégée, où le relais est construit (le premir continue donc à grimper pendant que le second l’assure depuis la plateforme – dans un confort relatif). Le deuxième pitch est plus délicat : il faut traverser horizontalement sur la gauche de la plateforme jusqu’à ce que le premier disparaisse aux yeux du second, et le premier continue ensuite verticalement, toujours caché jusqu’au sommet. La toute première partie de ce second pitch est particulièrement crainte car le premier de cordée doit réussir à trouver une prise de pied invisible alors que ses bras commencent à fatiguer. C’est encore pire pour le second parce qu’une chute du second sur une traverse crée des mouvements pendulaires assez imprévisibles et inconfortables.

Alors que nous contemplons ce début de second pitch, il commence à pleuvoir sérieusement et l’idée de descendre en rappel prématurément me paraît bien séduisante. Mais descendre maintentant signifie abandonner un peu d’équipement derrière nous et mon partenaire a l’air d’être motivé pour finir la route. Il se lance donc et bataille longuement avant de trouver la fameuse prise de pied (avec un hurlement de soulagement) et de disparaître de ma vue. Le vent qui forcit rend la communication difficile. Je l’assure en fonction de la tension que je sens dans les cordes. L’une des cordes a un sursaut, qui déloge l’un des plus gros hex placés ; ce dernier descend rapidement en glissant et atterrit contre la paroi, enfin aurait atterri contre la paroi si mes doigts ne s’étaient pas trouvé entre les deux. Petit cri et larme à l’oeil. Après ce qu’il me semble être de longues minutes, pendant lesquelles la nuit a eu le temps de tomber (il est 4 heures), j’entends mon partenaire au sommet crier plusieurs choses, je n’arrive qu’à saisir qu’il est bien sain et sauf au sommet (n’oublions pas le vent et son horrible accent du Lancashire).

Assumant parfaitement les moqueries futures (et le coût de l’équipement abandonné), je décide pendant ce temps de descendre en rappel (j’ai apparemment deux doigts blessés, il pleut, il fait nuit et je veux aller me rouler en boule dans mon lit). Normalement pas de problème : j’essaie d’en informer mon partenaire qui ne m’entend pas mais j’arrive à lui faire comprendre qu’il récupère une des cordes pour venir me chercher si quelque chose tourne mal. J’essaie de récupérer l’autre corde, qui ne l’entend pas de la sorte et décide de rester coincée dans une fissure – impossible de la faire venir. Moment de solitude, mais des promeneurs en contrebas semblent avoir vu mon désarroi et me demandent si j’ai besoin d’aide. J’ai encore un peu d’honneur restant (pas pour longtemps) et je décline pour le moment – mais j’ai aussi encore un peu de prudence et leur demande d’attendre. J’essaie pendant ce temps de faire comprendre à mon partenaire qu’il doit descendre m’aider, mais là encore le vent, la pluie, la nuit et le léger surplomb au-dessus de moi rendent le rappel pour le moins acrobatique. Finalement dans un cri de désespoir je demande aux promeneurs d’en-bas (serviables comme seuls des sujets de Sa Majesté peuvent l’être) d’appeler la Mountain Rescue.

Les Mountains Rescue Teams, c’est l’équivalent des PGHM en Angleterre. Des équipes de bénévoles (mais pas des rigolos pour autant) basés autour des zones montagneuses qui vont chercher les marcheurs perdus dans le brouillard, les randonneurs blessés et autres grimpeurs coincés. Il y a 5 équipes autour du Peak District, qui s’occupent principalement de chevilles foulées et d’égarés sur le Kinder Scout. Mais de temps à autre un idiot reste coincé sur une voie d’escalade, et là on peut seulement imaginer l’excitation pour la MRT qui doit s’occuper du cas. Car si les MRT sont constituées de bénévoles, ce sont des passionnés qui sont en général contents d’être appelés, que ce soit pour retrouver quelqu’un dans le brouillard ou aller chercher quelqu’un dans les rochers.

Mais en attendant l’arrivée providentielle de la MRT, je me blottis sur ma petite plateforme en essayant de me protéger au mieux de la pluie et du vent. Après un peu plus de deux heures où la police, les infirmiers et même les pompiers (mais pourquoi les pompiers) auront pointé le bout de leur nez, tout un peloton de secouristes de montagne fait son apparition et se lèche les babines devant la difficulté du sauvetage à effectuer : gros vent, pluie, obscurité, rappel surplombant (à noter qu’à part le froid, je suis en postion assez confortable – je ne risque pas de chuter). L’équipe prépare donc son rappel, m’attrape au passage dans un harnais de sauvetage, minable loque tremblante que je suis et me descend au sol en quelques minutes. Passée l’envie d’imiter Jean-Paul à la descente d’un avion, des membres de la MRT me donnent leur manteau, leurs gants et me portent presque jusqu’à une ambulance (même si je peux parfaitement marcher). Difficile de souligner à quel point ces types sont gentils (il y en a un qui me refait mes lacets, parce que je n’y arrive plus) et prévenants (ils iront jusqu’à récupérer notre équipement, histoire de se tester un peu, ce qui était franchement inattendu). À partir de là rien que de très routinier : chocolat chaud et petit examen médical – je m’en sors avec une paire d’entorses et une bonne hypothermie (34°C), ainsi qu’une promesse d’interview pour figer ma honte dans le marbre, ce qui devrait m’apprendre à aller faire le crétin des collines.