Nous avons risqué notre vie dans le froid inhospitalier de la steppe, nous avons risqué notre vie dans l’aridité du désert, nous avons risqué notre vie avec les bonbons d’importation russe, mais tout cela n’était rien comparé à la faune hostile qui nous a assaillie tout au long de notre périple.
Si vous croyez que le cheval paresseux, le chameau antipathique ou le yak pleurnicheur étaient déjà des défis, songez qu’il s’agit encore d’animaux domestiques, et qu’au même titre que les chèvres et les brebis (qui, étrangement vivent ensemble, sans doute pour mieux ourdir de sinistres complots, comme le fait de se mettre en travers de la route), ils ne constituaient qu’un risque mesuré. Dans ce registre, il y avait bien encore les chiens mercenaires qui se louaient pour s’installer près de nos tentes et nous protéger la nuit en échange d’une croûte de fromage, d’un morceau de pain et de quelques caresses sur le ventre. Malgré leur queue touffue, ils ne représentaient également qu’un faible danger – surtout pour notre apéritif, d’ailleurs.
Oui, tout cela n’est que rigolade en comparaison de ces monstres de la nature ou de ces animaux sournois qui nous ont épié ou menacé pendant ces quinze jours. Il y eut d’abord le pika avec ses immenses oreilles rondes ridicules, courant dans les pentes des collines. Atteignant pratiquement la taille d’un petit lapin, le pika est tout aussi mortel pour les plantes dont il se nourrit. Il y eut le mystérieux écureuil des steppes qui cache certainement un esprit bien vicelard sous son air idiot d’écureuil descendu de son arbre, et dans lequel il ne remontera pas de sitôt, vu qu’il n’y pas d’arbres dans la steppe. Il y eut la marmotte, genre de rongeur mort que l’on trouve habituellement accroché à la selle d’un chasseur dans les montagnes. Il y eut le petit serpent venimeux et la grosse araignée velue qui s’occupaient sagement de leurs affaires.
Il y eut aussi la multitude d’oiseaux de proie qui sillonaient le ciel, gypaètes, milans, buses, faucons et surtout d’immenses aigles qui volaient majestueusement au-dessus de nous.
Il y eut les troupeaux de chevaux sauvages de Przewalski qui boutaient paresseusement dans la neige.
Il y eut enfin, la nuit, les hurlements des loups qui avaient la détestable habitude de nous rappeler qu’on était bien au milieu de nulle part et que les chiens n’étaient finalement pas inutiles