Archive for octobre 2011

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Les bébêtes

mardi 25 octobre 2011

Nous avons risqué notre vie dans le froid inhospitalier de la steppe, nous avons risqué notre vie dans l’aridité du désert, nous avons risqué notre vie avec les bonbons d’importation russe, mais tout cela n’était rien comparé à la faune hostile qui nous a assaillie tout au long de notre périple.

Si vous croyez que le cheval paresseux, le chameau antipathique ou le yak pleurnicheur étaient déjà des défis, songez qu’il s’agit encore d’animaux domestiques, et qu’au même titre que les chèvres et les brebis (qui, étrangement vivent ensemble, sans doute pour mieux ourdir de sinistres complots, comme le fait de se mettre en travers de la route), ils ne constituaient qu’un risque mesuré. Dans ce registre, il y avait bien encore les chiens mercenaires qui se louaient pour s’installer près de nos tentes et nous protéger la nuit en échange d’une croûte de fromage, d’un morceau de pain et de quelques caresses sur le ventre. Malgré leur queue touffue, ils ne représentaient également qu’un faible danger – surtout pour notre apéritif, d’ailleurs.

Oui, tout cela n’est que rigolade en comparaison de ces monstres de la nature ou de ces animaux sournois qui nous ont épié ou menacé pendant ces quinze jours. Il y eut d’abord le pika avec ses immenses oreilles rondes ridicules, courant dans les pentes des collines. Atteignant pratiquement la taille d’un petit lapin, le pika est tout aussi mortel pour les plantes dont il se nourrit. Il y eut le mystérieux écureuil des steppes qui cache certainement un esprit bien vicelard sous son air idiot d’écureuil descendu de son arbre, et dans lequel il ne remontera pas de sitôt, vu qu’il n’y pas d’arbres dans la steppe. Il y eut la marmotte, genre de rongeur mort que l’on trouve habituellement accroché à la selle d’un chasseur dans les montagnes. Il y eut le petit serpent venimeux et la grosse araignée velue qui s’occupaient sagement de leurs affaires.

Il y eut aussi la multitude d’oiseaux de proie qui sillonaient le ciel, gypaètes, milans, buses, faucons et surtout d’immenses aigles qui volaient majestueusement au-dessus de nous.

Il y eut les troupeaux de chevaux sauvages de Przewalski qui boutaient paresseusement dans la neige.

Il y eut enfin, la nuit, les hurlements des loups qui avaient la détestable habitude de nous rappeler qu’on était bien au milieu de nulle part et que les chiens n’étaient finalement pas inutiles

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Au-delà du fleuve et sous les arbres

vendredi 14 octobre 2011

Après les vastes étendues du Gobi et leurs pistes empoussiérées, nous arrivons dans un paysage de moyenne montagne, avec des rivières qui galopent à travers des collines à l’herbe rase. Les yaks se montrent de plus en plus nombreux, sans arriver à nous inquiéter toutefois, et nous nous élevons vers 2000 m d’altitude (en voiture, pas par l’opération du Saint-Esprit non plus).

Une dernière nuit sous yourte avant de partir pour une randonnée de 4 jours dans la région des 8 lacs (puisqu’il y a 5 lacs) avant la vallée de l’Orkhon. Au matin, parmi les yaks qui sont traits par les nomades, un chasseur à cheval, fusil dans le dos, et marmotte accrochée à la selle. Contents de voir que quelqu’un traite ces crapules comme elles le méritent, nous partons monter dans les collines. L’herbe est sèche, les edelweiss foisonnent, les marmottes, sachant à quoi s’en tenir, se planquent. L’ascension se poursuit, toujours au milieu de l’herbe brunie, jusqu’au col de Bodon, où nous croisons nos yaks de portage. Au sommet, des cairns de pierres décorés d’étoffes bleues et jaunes – des ovoos en somme.

Et soudain, de l’autre côté, pif paf, un tout autre spectacle s’offre à nous. Car se reflétant dans les lacs aux eaux azurées, les mélèzes dorés secouent doucement leurs aiguilles soyeuses. Certes, le pluriel poétique amplifie un peu cette réalité, puisqu’il n’y a qu’un lac avec une seule eau – mais bien plusieurs aiguilles sur plusieurs mélèzes, toutefois tout cela est très majestueux.

Ce genre de paysage sera notre pain quotidien pendant les jours à venir : des lacs, des mélèzes et des herbes ambrés, des pierres de lave noires, et au-dessus de nous, le ciel bleu.
Chaque soir, en arrivant au camp, une table avec notre apéritif nous attend au camp avec les yaks et les chevaux, et on se sent comme Hemingway en voyage, car nous aussi, nous avons des chapeaux ridicules.

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A pied, à cheval, en chameau, et en camionnette russe sans direction assistée

lundi 10 octobre 2011

Le fait que nous ayons dû parcourir environ un millier de kilomètres en quinze jours dans un pays qui comporte officiellement 2500 kilomètres de routes a nécessité de recourir à quelques moyens de locomotion un peu originaux pour accomplir notre voyage. Un petit tour d’horizon du transport en Mongolie :

Notre principal moyen de transport est tout de même demeuré la voiture. Mais la voiture avec un peu de gueule. Des camionnettes russes 4×4, sans marque clairement identifiable, de celles qui se réparent avec un marteau. Des véhicules rustiques, mais quand on se trouve à 1000 km du plus proche garagiste, on est content de ne pas avoir le voyant de l’ABS qui s’allume par intermittence. Ici pas d’ABS, pas de voyants non plus. Le seul gadget, c’est le klaxon (pour faire déguerpir les chameaux). La direction assistée fait aussi défaut, et pour conduire sur les pistes du désert et de la steppe, les chauffeurs mongols ont développé une astuce simple, mais efficace : des gros bras pleins de muscles. Les voitures sont faites pour se tirer de situations délicates et abandonnent les rêves de vitesse sur asphalte au profit d’un couple énorme qui permet de traverser des gués, des marécages ou des meutes de chiens errants. Quand finalement l’embourbement à mi-essieu finit par arriver, on sort la pelle et les touristes poussent. Le confort est évidemment limité, mais on apprécie que le plafond de l’habitacle soit matelassé.

Les chaussures sont également très prisées pour le voyage. On les met aux pieds, et il suffit de marcher à travers les collines, les rochers ou les rares forêts pour avancer. Très pratique.

Le yak était notre moyen de portage pendant nos quatre jours de randonnée. Le yak ressemble à une vache laineuse, mais il grogne comme un cochon et il est peureux comme une poule. Et les petits yaks courent comme des chiens. Un animal ridicule, donc, mais sympathique. Il est guidé par de jeunes Mongols aux yeux verts, à cheval, habillés en costume traditionnel.

La promenade à dos de chameau est l’équivalent de la promenade touristique à dos de cheval, mais dans le désert. Le chameau a une sale tête, une haleine infernale, deux bosses, il est trouillard, peu obéissant, et il aime passer par des endroits aussi peu confortables que possible pour son cavalier. Le chameau ne nous aime pas, mais c’est réciproque. On peut toutefois lui reconnaître une démarche chaloupée qui n’est pas désagréable.

Enfin, le cheval est un cheval pour touristes comme ailleurs, gentil mais un peu paresseux sur les bords. Notons que les Mongols le montent le plus souvent avec une selle en bois, un deel et des bottes en cuir souple, ce qui est quand même classe.

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En entrée, du désert

dimanche 9 octobre 2011

On ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, même si le nom faisait vaquer notre imagination. Mais on n’a pas été déçus par le désert de Gobi. Peut-être qu’il n’est pas aussi spectaculaire, pas aussi sec que d’autres. Peut-être qu’ailleurs, il y a plus de dunes qui chantent, ou peut-être plus de pierres brûlantes sous le soleil. Mais il n’est pas certain qu’il existe des lieux où le sentiment de l’immensité et de la vacuité s’impose avec autant d’évidence.

Si la nature du désert change au cours du trajet parcouru, passant d’une  fine poussière noire plantée de lambeaux de végétation intermittents, à un sable orangé parsemé de plaques de sel, jusqu’à l’annonce de la steppe avec ses touffes d’herbes sèches ; en revanche le sentiment d’être perdu au milieu d’une étendue infinie ne nous quitte jamais. Le sol est plat sur des dizaines, des centaines de kilomètres, et l’air sec laisse deviner des distances gigantesques jusqu’à ce que finalement, la plaine, lente et régulière, finisse par rencontrer au loin une muraille de montagnes, noires et déchirées sur notre gauche, ou rouges et onctueuses à droite. Devant nous, la terre et le ciel finalement se confondent à l’horizon. Partout, le silence.*

Pour autant, ça et là, il y a quelques endroits où le désert sort de sa léthargique régularité pour offrir des vues plus fantasques, qu’il s’agisse des falaises rouges de Bayanzag, des forêts de saxauls, des troupeaux de chameaux qui errent, des chevaux qui galopent dans le poudroiement du soleil couchant, ou des dunes de sable qui s’accumulent le long des barrières montagneuses.

Au-delà de ces considérations quasiment spirituelles, quelques remarques factuelles. Le Gobi est gentiment tempéré ; il y fait sec, et agréablement doux en journée (pour nous, en septembre en tout cas), et sec et froid la nuit. Le désert n’est pas tout à fait désert : de temps à autre, on croise un troupeau (chevaux ou chameaux) et au loin, on aperçoit de place en place un groupe de yourtes, qui permettent de saisir succinctement une idée des distances sur lesquelles on a une vue. En général, cela varie du très loin à l’inaccessible.
* »Cela est beau, Maître ! Trop beau ! C’est de l’Antique ! »