Torricelli, mathématicien italien du XVIIème siècle né à Faenza (et également homme de principes), fut le premier à décrire la trompette de Gabriel, figure qui a l’intéressante particularité d’avoir une surface infinie mais un volume fini. Dans une lettre écrite à Roberval en 1643, avec un style qui ne dépare pas sa moustache en croc, Torricelli nous livre cet intéressant témoignage à ce sujet :
Cher et illustre collègue,
[…] à propos du solide hyperbolique aigu [la trompette de Gabriel], je porte à votre attention le fait qu’il est théoriquement possible, eu égard aux intéressantes propriétés mathématiques de cet objet, de créer un cornet de glace avec une quantité de gaufrette infinie et qui contiendrait un volume fini de glace stracciatella-fraise […]. Les bénéfices en termes d’économies, vu l’augmentation du ratio gaufrette-glace, seraient énormes […] me faire plein de fric […] me barrer aux Seychelles […]. Je souhaite confier la réalisation de cette expérience à un mien ami glacier de Brisighella dans les plus brefs délais […]
Anecdote intéressante, mais vraisemblablement sans relation, Torricelli mourut peu de temps après étouffé («ingestion massive de biscuit» suggéra le médecin qui l’examina).
C’est sur la foi de ce document que nous partîmes à Faenza démêler le vrai du faux et percer le secret de la glace infinie de Torricelli. Enquête.
Faenza, petite ville de Romagne, est le berceau de la faïence et de Laura Pausini. La ville est divisée en cinq quartiers, marqués par des armes et des couleurs distinctes, et qui s’affrontent lors d’un Palio, où des cavaliers concourent dans un jeu d’adresse, pendant que leurs supporters essaient de battre des records de mauvaise foi pour défendre leur représentant avant de songer à transformer la fête en émeute. Les quatre quartiers centraux se rejoignent sur une place généralement ensoleillée où l’on peut prendre un café en maudissant l’incurie du gouvernement (d’autres sujets de conversation sont théoriquement possibles, mais peu pratiqués). Faenza est également célébrée pour un petit restaurant caché dans un coin où l’on peut manger le meilleur steak de tous les temps (le sujet est trop sérieux pour plaisanter : il s’agit vraiment du meilleur steak que j’aie jamais mangé, je tiens à remercier le cuisinier anonyme qui l’a préparé, ainsi que le boeuf qui a donné de sa personne pour me faire connaître ce moment de bonheur. Merci l’ami, tu resteras pour toujours l’argument irréfragable à opposer aux végétariens qui essaient vainement de me convaincre qu’une bonne rigolade vaut un beefsteak). Vous l’aurez compris, Faenza est un lieu bien sympathique pour poser ses valises dans la région et profiter du calme d’une petite ville peu touristique mais pleine de charme. Torricelli l’avait bien compris, d’ailleurs.
À quelques kilomètres de là, le village de Brisighella se dresse au milieux des collines. Chaque coin de rue offre une vue de carte postale qui ferait pleurer d’émotion une héroïne stendhalienne. Et puis il y a une réunion de Fiat Barchetta sur la place principale, sous les ombres paresseuses des maisons décrépites. Encore un cliché de plus et nous allons défaillir de joie. C’est aussi ici que d’après nos contacts sur place, on mange la meilleure glace (de Brisighella, je crois). Et effectivement la glace est délicieuse, mais le secret du cornet de glace de Torricelli est bien perdu, lui.